Demandez à l’expert : Ryan Zizzo

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Ryan Zizzo est un ingénieur ayant près de 15 ans d’expérience en gestion de projets de construction climato-intelligente au Canada et en Europe. Fondateur et chef de la direction de Mantle Developments, il élabore et met en œuvre des stratégies de durabilité qui réduisent les impacts environnementaux des bâtiments. Il se concentre notamment sur les stratégies net-zéro, les certifications de bâtiments durables, l’évaluation du cycle de vie du carbone intrinsèque et la résilience climatique. Son expérience et son expertise sont grandement appréciées au sein du comité directeur du carbone zéro du CBDCA dont il est membre. Dans la présente entrevue, il réfléchit aux possibilités et aux défis des projets de bâtiments à zéro émission.

Dites-nous comment vous en êtes venu à vous impliquer dans la durabilité.

J’ai toujours été fasciné par l’environnement bâti. L’idée que les bâtiments, les villes et les environnements réels dans lesquels nous vivons et interagissons quotidiennement soient le résultat de décisions prises par des personnes comme vous et moi m’a toujours intrigué. Notre réalité n’est pas figée ni acquise – nous pouvons réellement influencer ce que deviennent nos environnements. Je savais que je voulais participer à ces discussions.

Cette passion m’a amené à étudier le génie en structure de bâtiments. Après avoir obtenu mon baccalauréat, je savais que je voulais continuer d’apprendre et je savais aussi que je voulais poursuivre une carrière dans un domaine nouveau et dynamique – un domaine qui avait un grand potentiel de croissance et qui resterait intéressant pendant son évolution. C’est ainsi que j’ai orienté mes études de maîtrise (2007-2009) dans le domaine naissant des bâtiments et des infrastructures durables. J’ai été engagé comme l’un des premiers membres de l’équipe des bâtiments durables d’une grande firme d’ingénieurs-conseils de Toronto et j’ai commencé à travailler sur la première génération de bâtiments LEED au Canada (avec LEED NC Canada v1!). J’ai vite été conquis. 

Votre mission chez Mantle Developments est de vous assurer que les projets résistent à l’épreuve du temps. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?  

Les villes prospères de l’avenir doivent être carboneutres et climato-résilientes. C’est ce que nous faisons valoir auprès de nos clients et que nous visons pour nos projets chez Mantle Developments. C’est aussi simple que cela. L’objectif ne sera pas atteint tout de suite pour tous les projets, mais c’est la vision ultime d’un environnement réellement durable pour l’avenir. Ce qui m’emballe, c’est la possibilité de réduire les impacts négatifs de nos pratiques de construction actuelles en plus d’utiliser l’environnement bâti comme solution aux problèmes du changement climatique.

Nous avons la capacité technique de créer des bâtiments favorables au rétablissement climatique qui éliminent véritablement le carbone de l’atmosphère en construisant avec des matériaux qui stockent le carbone et en utilisant une énergie 100 pour cent propre et renouvelable pour l’exploitation des bâtiments. Il y a diverses façons de stocker le carbone. On peut utiliser plus de bois et de bois d’œuvre, mais on peut aussi utiliser des formes nouvelles et innovantes de béton et d’acier de stockage de carbone, ou encore, ce qui est plus étonnant, d’autres matériaux biosourcés faits de sous-produits agricoles que nous cultivons déjà, mais que nous laissons se perdre. Tout cela est techniquement possible – il nous faut simplement la volonté de changer.

Par ailleurs, les bâtiments de l’avenir doivent aussi nous protéger contre les conditions climatiques de plus en plus hostiles que nous observons déjà et qui vont s’aggraver pour les générations futures. C’est la vision des villes de demain, à l’épreuve du temps, à laquelle je désire contribuer au cours de ma carrière.

Le carbone intrinsèque devient de plus en plus important dans les stratégies de réduction du carbone. Que savons-nous de l’état de préparation de l’industrie pour les évaluations volontaires du carbone intrinsèque?

La gestion, la réduction et l’élimination ultime du carbone intrinsèque par des stratégies carboneutres sont les prochains grands chantiers pour l’industrie du bâtiment durable. Aujourd’hui, le carbone intrinsèque est responsable de la vaste majorité des émissions dans les nouveaux bâtiments à haute performance, en particulier ceux qui sont alimentés par une énergie verte et qui sont de plus en plus nombreux chaque année. Si nous ne gérons pas le carbone intrinsèque, nous laissons passer une opportunité majeure. Et puisque les émissions de carbone intrinsèque sont libérées pendant la fabrication et le transport des matériaux de construction, elles se produisent au début du processus, pendant les phases d’attribution du contrat et de la construction, et elles ne peuvent jamais être éliminées d’un projet. Les émissions opérationnelles, au contraire, peuvent être réduites si le bâtiment fait l’objet d’une rénovation profonde de décarbonation ou s’il passe à une source d’énergie plus sobre en carbone. Une fois que les émissions de carbone intrinsèque sont libérées dans l’atmosphère, le mal est fait.

L’industrie commence à en prendre conscience et nous voyons de plus en plus de projets entreprendre des évaluations volontaires et la réduction du carbone intrinsèque. Les programmes comme LEED v4 et le Bâtiment à carbone zéro du CBDCA ont joué un rôle déterminant pour attirer l’attention sur cette question. Bien des parties prenantes sont d’abord réticentes à s’engager dans la réduction du carbone intrinsèque, mais elles réalisent rapidement qu’il existe des solutions simples pour réduire facilement et considérablement leur carbone intrinsèque, avec un impact extrêmement faible, voire nul, sur le budget et le calendrier de leur projet.

Au bout du compte, nous avons besoin d’une politique pour nous assurer que tous les futurs projets de construction gèrent le carbone intrinsèque. Actuellement, le code du bâtiment ne prévoit que des exigences minimales en matière d’efficacité énergétique. Ce n’est qu’une question de temps avant que ces exigences soient renforcées et que les codes comprennent des plafonds de carbone qui incluent les impacts du carbone opérationnel et du carbone intrinsèque. On le voit déjà ailleurs, notamment dans le code du bâtiment français. Nous avons bien hâte de le voir aussi au Canada.

Quels sont les obstacles les plus courants? Les principaux éléments moteurs?

À mon avis, il y a deux principaux obstacles à la gestion du carbone intrinsèque à grande échelle. Le premier, c’est le budget. Bien que les matériaux sobres en carbone soient souvent à coût neutre, l’analyse d’ingénierie pour examiner et découvrir ces alternatives entraîne des frais. Lorsque ce type d’analyse n’entraîne pas d’économies financières immédiates (comme peut le faire la réduction de l’énergie opérationnelle), il devient difficile de convaincre les constructeurs. Il est important que les constructeurs comprennent que la réduction du carbone intrinsèque ne réduira peut-être pas leurs coûts, mais qu’elle augmentera la valeur de leurs projets.  

Le deuxième obstacle est le manque actuel de données de grande qualité sur le carbone intrinsèque des matériaux de construction. Seuls quelques fabricants ont actuellement les déclarations environnementales de produits (DEP) qui sont nécessaires aux évaluations du carbone intrinsèque des bâtiments. Nous devons souvent nous fier aux données moyennes de l’industrie ou aux DEP d’autres régions ou d’autres fabricants en remplacement de spécifications d’un produit pour un projet donné. À mesure que les fabricants créeront leurs propres DEP, les résultats des évaluations du cycle de vie de l’ensemble du bâtiment deviendront plus précis et plus utiles. 

Les fabricants canadiens tireraient profit de la création des DEP, puisque bien des régions du Canada ont une énergie très sobre en carbone. Les matériaux et les produits qui sont fabriqués avec une énergie sobre en carbone sont forcément plus sobres en carbone. Comme des gouvernements partout dans le monde exigent de plus en plus les DEP et offrent des incitatifs à l’achat de matériaux sobres en carbone, les fabricants canadiens peuvent être en tête de liste pour fournir à ce marché en pleine croissance les matériaux sobres en carbone de l’avenir – mais ils ont besoin des DEP pour cela. 

L’un des principaux éléments moteurs de la gestion du carbone intrinsèque est que les entreprises s’engagent de plus en plus à mesurer et à réduire leurs émissions du champ d’application 3 – qui comprennent les émissions de carbone intrinsèque. Nous commençons également à voir le déploiement de la première génération de politiques de gestion du carbone intrinsèque, que ce soit dans des programmes volontaires, comme les Normes du bâtiment à carbone zéro, ou dans le cadre de politiques obligatoires adoptées par des administrations avant-gardistes, comme les villes de Vancouver, Toronto et Edmonton, et le gouvernement du Canada – des politiques qui exigent toutes une certaine forme de mesure du carbone intrinsèque pour certains types de projets de construction.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle au sein du Comité directeur du carbone zéro? Comme nous acceptons actuellement les candidatures pour siéger à ce comité, avez-vous des conseils à donner aux membres intéressés? 

Ce fut un honneur de siéger à ce comité au cours des quatre dernières années. J’ai beaucoup appris de certains des meilleurs et des plus brillants esprits du Canada et j’ai contribué à faire mieux connaître le carbone intrinsèque. J’ai joué un rôle de premier plan dans la décision de faire évoluer l’approche à la gestion du carbone intrinsèque entre les versions 2 et 3 de la Norme du bâtiment à carbone zéro – Design et c’est sans doute l’un des moments les plus gratifiants de ma carrière jusqu’à maintenant. Le Comité offre une occasion de faire une réelle différence et de contribuer à orienter ce à quoi ressemble la meilleure construction climato-intelligente au Canada.

Le CBDCA a récemment transmis des recommandations à Finances Canada dans le cadre de la consultation prébudgétaire. Y a-t-il des domaines de la politique gouvernementale qui ont été négligés à votre avis, ou sur lesquels il faudrait se concentrer davantage lorsqu’il s’agit de réduire les émissions de carbone?

Les recommandations du CBDCA sont tout à fait pertinentes et je les soutiens tout à fait. Toutefois, je pense que la politique peut faire davantage pour valoriser les réductions des émissions de carbone. Comme je l’ai souligné, le constructeur ne retire actuellement aucun avantage financier initial pour utiliser des matériaux sobres en carbone intrinsèque. C’est un choc pour la plupart des gens. Nous avons un prix national pour le carbone, et pourtant aucun incitatif ou avantage ne favorise la prise d’une décision majeure (le choix des matériaux pour un projet de construction) qui peut réduire considérablement le carbone intrinsèque. Nous devrions être en mesure de lier le carbone évité, réduit, ou mieux encore, le carbone retiré de l’atmosphère et stocké dans un bâtiment, à un certain incitatif financier autre que la valeur à long terme du bâtiment. J’invite fermement les décideurs politiques de tout le Canada à y réfléchir.

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