Demandez à l’expert : Michael Brooks

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Depuis des dizaines d’années, Michael Brooks est un chef de file de la transformation du marché et de la réglementation au Canada à divers titres et sur les plans de la législation, des affaires, de l’éducation et du plaidoyer. En tant qu’avocat et chef de la direction de Real Property Association of Canada (REALPAC), , professeur et conseiller au sein de différents conseils d’administration et comités, il a fait partie de plusieurs initiatives qui ont soutenu l’évolution du secteur immobilier et la transition vers des bâtiments et des pratiques d’entreprise plus durables. Son travail et son engagement ont été reconnus par le Prix pour l’ensemble d’une carrière 2023 du CBDCA qui lui a été décerné dans le cadre de Bâtir un changement durable, en juin dernier. Dans la présente entrevue, il revient sur sa carrière et nous fait part de ses réflexions sur l’avenir de notre industrie.

Vous portez simultanément les chapeaux de professeur, avocat et chef de la direction depuis longtemps au sein du secteur immobilier. Comment votre passion pour l’immobilier s’est-elle développée?

Probablement par accident. Mes études de premier cycle en urbanisme à l’Université de Waterloo ont éveillé mon intérêt dans la place de chaque élément et les raisons sous-jacentes. Les études en droit qui ont suivi étaient en fait un plan B, car il y avait peu d’emplois pour les urbanistes lorsque j’ai fini mes études. Après l’obtention de mon diplôme en droit et plusieurs années d’exercice en droit municipal et de l’urbanisme dans une firme d’avocats privée, j’ai commencé à m’intéresser à l’aspect financier de l’immobilier. C’est alors que j’ai orienté ma pratique sur les aspects juridiques plus transactionnels : achat, vente, développement, location, financement, co-entreprises et autres. L’immobilier est généralement un vaste domaine dans lequel il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre. En fait, je continue d’apprendre et je suis toujours aussi passionné.

Le mouvement du bâtiment durable a-t-il modifié votre vision du secteur immobilier? Si oui, comment?

Pendant les études en urbanisme, on suit des cours d’écologie, de biologie sur le terrain et même de droit environnemental, mais le mouvement du bâtiment durable n’a commencé à attirer mon attention chez REALPAC qu’aux alentours de 2006, lors de la diffusion du documentaire Une vérité qui dérange d’Al Gore. Jusqu’alors, l’énergie était considérée comme un coût à gérer par les propriétaires des bâtiments et la menace des gaz à effet de serre n’avait pas encore attiré l’attention des grands médias ni la mienne, d’ailleurs. Cela m’a fait réaliser que j’étais passé à côté de quelque chose d’extrêmement important et que je devais dorénavant m’y intéresser sérieusement. Cette période a été déterminante pour moi. Je savais que le secteur immobilier devait changer radicalement, dans ses pratiques de durabilité tout autant qu’en matière de responsabilité sociale d’entreprise. Je devais identifier les principales entreprises socialement responsables et durables et les principaux bâtiments dans le monde, m’engager dans ce parcours éducatif et y entraîner le secteur canadien de l’immobilier commercial.

Comment les déterminants de la décarbonation ont-ils évolué au cours des dernières années?

La professeure Jennifer McArthur et moi avons effectué une étude sur cette question en remontant jusqu’en 2006. Nous en avons publié les résultats dans un article scientifique publié en 2019 (Journal of Sustainable Real Estate 11(1) 130-155). Nous avons étudié les facteurs (« les éléments déterminants ») qui ont motivé l’investissement dans l’efficacité énergétique des immeubles de bureaux commerciaux pour les périodes allant de 2006 à 2011 et de 2012 à 2017, et qui les motiveraient à compter de 2018 dans le contexte d’une préoccupation croissante pour les émissions de carbone dans le monde entier. Ces données ont été recueillies auprès de grands gestionnaires d’actifs canadiens dans le cadre d’entrevues réalisées en 2017 et 2018. En voici les principales conclusions :

  • les organisations ont souligné que le nombre de facteurs motivant les décisions d’investissement avait augmenté au cours des trois périodes;
  • les facteurs de coût, notamment la période de récupération et les rendements financiers anticipés, étaient les deux principaux facteurs de 2006 à 2017;
  • les facteurs reliés aux relations publiques sont devenus nettement plus importants dans les projections pour l’avenir et l’impact sur la marque (la réputation) s’est classé au troisième rang des principaux déterminants, ex æquo avec l’attraction des locataires;
  • les facteurs reliés à l’atténuation des risques, comme la résilience et la conformité anticipée, ont constamment gagné en importance.

Il est probablement temps d’actualiser cette étude, mais j’ai tout de même l’impression que les déterminants d’aujourd’hui sont à nouveau différents. La pression réglementaire est beaucoup plus forte que dans le passé – les codes du bâtiment durable, les taxes sur le carbone, la déclaration obligatoire de la consommation d’énergie – mais nous observons aussi une pression croissante de la part des locataires, des prêteurs et des investisseurs pour décarboner les bâtiments, ainsi qu’une augmentation des incitations gouvernementales à cette fin, à la fois du côté de la dette (p. ex., le financement de la SCHL, les prêts de la Banque de l’infrastructure du Canada) que du côté des capitaux propres (subventions).

À votre avis, quels seront les trois principaux enjeux du secteur immobilier au cours des cinq prochaines années?

Le premier enjeu est la survie. Les taux d’intérêt élevés freinent les nouveaux projets et nuisent à l’exploitation des bâtiments existants dont le rapport prêt-valeur est élevé. Le travail en mode hybride et le décalage post-pandémique vident de nombreux immeubles de bureaux au pays et les dévaluent. Tous ces facteurs pourraient entraîner une diminution des budgets d’investissement dans le projet de décarbonation au cours des cinq prochaines années.

Le deuxième enjeu est celui du logement abordable. Il y a actuellement un important déficit de logements de tous les types au Canada et la plupart des gouvernements sont très orientés sur l’offre de nouveaux logements. Il y a aussi une inadéquation entre les besoins des nouveaux arrivants et des étudiants étrangers et l’offre disponible et il n’est pas possible d’offrir rapidement de nouveaux logements. Je vous invite à consulter le site de l’Accord national sur le logement pour voir le travail accompli jusqu’à maintenant en ce domaine.

Enfin, le troisième enjeu est celui du retour au bureau et dans les centres-villes. La plupart des intervenants du secteur ne sont pas sûrs de l’issue de cette question et de la façon dont réagiront les firmes (et les locataires). Renouveler les baux, mais pour de plus petites superficies? Commencer à offrir la réservation de bureau ou le partage de bureau aux employés? Déménager les bureaux dans les banlieues, en tout ou en partie? Utiliser davantage des installations de type WeWork? L’aménagement des espaces par certains propriétaires pour rendre plus agréable le travail au bureau est une réponse possible. Comment les détaillants et les restaurants des centres-villes survivront-ils?

D’après votre expérience des initiatives mondiales en matière de bâtiment durable, quelles sont les principales différences entre le marché du bâtiment durable à l’échelle mondiale et celui du Canada?

Le secteur de l’immobilier commercial est en général très avant-gardiste au Canada, comme en témoigne le nombre de propriétés institutionnelles et publiques qui produisent des revenus dans nos grandes villes. De nombreux pays du tiers monde qui ne font pas partie de l’OCDE n’ont pas un marché aussi mature et géré de manière aussi professionnelle. C’est donc dire que nous avons les moyens et la capacité de décarboner nos bâtiments au fil du temps. Notre réseau national évolue lentement pour éliminer les sources à fortes émissions de carbone (p. ex., les réseaux alimentés au charbon de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Nouvelle-Écosse), mais au niveau mondial, 36 pour cent de toute l’énergie est alimentée au charbon. La transition devra s’effectuer partout et nous bénéficions certainement de l’appui de nos trois ordres de gouvernement en faveur de la décarbonation. Nous avons seulement besoin d’instaurer un mécanisme de tarification du carbone aux frontières pour nous assurer que nous ne punissons pas notre propre économie au détriment des véritables sources du réchauffement climatique.

Si vous aviez un message à transmettre aux propriétaires de portefeuilles et aux équipes de projets, quel serait-il?

Patience, persévérance et vision à long terme. Même si les conditions économiques ne sont pas favorables au financement et à la mise en œuvre en continu des initiatives de décarbonation, élaborez vos plans à long terme et progressez chaque jour au sein de votre portefeuille du mieux que vous le pouvez. Vous serez récompensés à long terme sur les plans économique et social. Karma.

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